Gabriel Attal, ou la moins pire des solutions

Après 20 mois à la tête de Nation, Mme Élisabeth Borne, désormais ex-Première ministre de la République française, quitte son poste. Au cours de ces deux intenses années, elle aura notamment eu la lourde tâche d’assumer la méprisée réforme des retraites et la controversée loi sur l’immigration et le droit d’asile. Tout cela évidemment sur fond d’une inflation galopante, au sein d’un pays fracturé par les asymétries entre générations, les profonds désaccords sociaux et sociétaux entre citoyens, qu’il s’agisse de sécurité, d’identité ou encore de religion. Ce mardi 9 janvier, c’est donc à Gabriel Attal qu’a été légué le témoin. La course aux européennes semble bien mal embarquée, et sa présence à la tête du Gouvernement s’assimile à une sorte d’ultime tentative pour renverser la vapeur.

Mais qui est Gabriel Attal ? Difficile, voire impossible, de ne pas avoir remarqué sa présence depuis 2017 au sein des marcheurs ayant réussi à conquérir l’Élysée. Son incessante activité lui a même valu le statut « d’homme politique préféré des français » en 2023, détrônant Édouard Philippe, le meilleur pote de droite des français. Pourtant, son histoire est brève du haut de ses 34 ans. Sans surprise, il est le plus jeune Premier ministre de l’histoire de France, tout comme M. Macron est le plus jeune Président de la République. Il y a à peine plus de 15 ans, Gabriel Attal entamait son cursus de cinq ans à Sciences Po Paris. Il était alors militant au sein du Parti socialiste et se dirigeait tout droit vers une carrière dans les affaires publiques, plus précisément dans le monde de la politique. Le reste n’est qu’une ascension fulgurante. En 2012, il rejoint le cabinet de Marisol Touraine, ministre de la Santé. Il y reste durant l’intégralité du mandat socialiste. En parallèle, il devient conseiller municipal de la ville de Vanves, poste qu’il occupe encore à ce jour. Sa carrière prend un tournant lorsqu’il fait partie des premiers à adhérer au mouvement de La République En Marche en 2016. Ses qualités lui permettront en 2018 d’être nommé secrétaire d’État auprès de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, puis de devenir porte-parole du Gouvernement en 2020, en pleine pandémie de Covid-19. Une fois le Président réélu en 2022, M. Attal est nommé ministre délégué chargé des Comptes publics, puis, lors du remaniement à l’été 2023, il devient ministre de l’Éducation nationale. La suite est connue de tous.

Bien évidemment, cette progression phénoménale ne peut pas se résumer à des logiques internes de séduction d’untel ou d’untel. Gabriel Attal est un jeune homme politique très talentueux ayant prouvé sa capacité à faire avancer le pays dans le sens voulu par Emmanuel Macron, à ouvrir les dossiers les plus controversés et à se confronter sans détour face aux oppositions. À sa façon, Gabriel Attal est un jeune potentiel comme l’était Emmanuel Macron. Ce dernier, aujourd’hui au pied du mur, y voit sûrement une opportunité pour insuffler un peu de culot et de fougue dans un mandat ennuyeux, triste, et souvent brutal. Une chose est sûre, c’est un coup de poker. En vue des élections européennes de juin 2024 et de la popularité sans conteste de l’extrême-droite, la nomination de Gabriel Attal permettra-t-elle de mettre un coup d’arrêt à la montée en puissance du Rassemblent national ? Relancera-t-elle le quinquennat d’un Emmanuel Macron toujours plus loin des citoyens qu’il est censé représenter ?

Un retour aux sources du macronisme

Avec Gabriel Attal, on revient au cadre jeune et dynamique, si inhérent à la philosophie macroniste. Face à la complexité administrative et l’archaïsme de ses fonctionnaires, Emmanuel Macron voulait rajeunir et simplifier la tête de l’État et son corps. Pour quoi faire exactement ? On ne le saura probablement jamais. La nomination de Gabriel Attal pourrait en effet se justifier à l’aide tous ces qualificatifs creux utilisés par les marcheurs témoignant de l’absence d’une idéologie claire, et surtout d’une vision pro start-up convaincue de l’efficacité inégalable de l’initiative individuelle. En somme : « il est jeune », « il fait bouger les choses », « il n’est ni de gauche, ni de droite »… Mais en réalité, Gabriel Attal, c’est plus que ça.

Tout d’abord, partout où il est passé, le jeune homme politique a laissé une trace. Porte-parole du Gouvernement pendant la crise du Covid-19, il fait basculer la majorité dans l’ère du numérique et du digital. En termes de communication, il ouvre la piste Twitch, YouTube, et bien d’autres réseaux sociaux encore inexplorés par le Président de la République. Lors de son passage aux comptes publics, il est assez en vue, son champ d’action étant directement lié à la réforme des retraites. Sa faculté à se ranger derrière les éléments de langage de la majorité est assez déconcertante. Contrairement à Olivier Dussopt et Élisabeth Borne, Gabriel Attal garde sa crédibilité tout en assumant l’impopulaire et imparfait projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Sans grande originalité, il défend la logique de baisse des impôts, mais semble admettre qu’il s’agit d’un choix parmi d’autres. On peut aimer ou ne pas aimer, M. Attal offre une certaine clarté, qui aura clairement manqué lors du simulacre de débat autour de cette réforme.

« Et la deuxième question qui sera posée c’est est-ce que vous voulez le faire en augmentant, ou pas, les impôts. Et nous, effectivement, on dit qu’on souhaite préserver notre système des retraites, sans augmenter les impôts. Là aussi, une alternative a émergé dans le débat au Parlement, avec l’opposition, notamment NUPES, qui a proposé d’augmenter beaucoup de cotisations, beaucoup de taxes, sur les Français de classe moyenne. »

(Gabriel Attal, ministre chargé des Comptes publics, le 13 mars 2023 au micro de Léa Salamé et Nicolas Demorand sur France Inter)

Au cours de cette période, il lui est même arrivé à quelques reprises de mentionner l’importance du débat sur la semaine à quatre jours, idée qu’on perçoit assez rarement à droite.  À contre-courant d’un Gouvernement peu intéressé du bien-être des citoyens français au travail, il pose la question. Évidemment, cela ne signifie pas que M. Attal incarnerait une soi-disant « aile gauche » macroniste. Il soutient, et a toujours soutenu une idéologie économique libérale, propre à la droite. Il promeut d’ailleurs une semaine de quatre jours de 35 heures. Il ne parle donc que d’une compression du temps de travail dans la semaine, plutôt qu’une baisse réelle des efforts demandés. L’idée a néanmoins le mérite d’exister.

Gabriel Attal, c’est la promesse d’une gestion plus offensive de l’agenda présidentiel. Et pour cause. L’homme de 34 ans est un adepte des ambiances hostiles. À l’Assemblée nationale, il intervient fréquemment et se fait régulièrement remarquer par ses pairs pour ses qualités d’orateur et de réthorique. Voilà ce que disait notamment Cyrielle Chatelain, députée écologiste, à son égard : « C’est un bon débatteur, on sent qu’il aime être à l’Assemblée, il est habile. » Évidemment par « habile », Mme Chatelain souligne la capacité qu’a M. Attal de contourner les faits sans confiner au ridicule. D’autres députés à gauche comme Antoine Léaument (député LFI) reconnaissent la pertinence de leur adversaire : « Je suis content de vous voir car au moins vous, vous répondez à nos questions ».

Enfin, en nommant Gabriel Attal, le Président de la République veut relancer un quinquennat relativement sclérosé. Élisabeth Borne a mené à bien les réformes voulues par celui-ci, mais elle l’a fait aux dépens du débat démocratique et du respect du Parlement. Son Gouvernement a frôlé la motion de censure, et la motion de rejet récoltée par Gerald Darmanin il y a quelques semaines illustre la fracture béante entre la relative majorité présidentielle et le reste. De son côté, M. Attal n’a pas chômé lors de son semestre au ministère de l’Éducation nationale. À peine arrivé, il déchaîne les passions en interdisant le port de l’abaya dans l’enceinte scolaire. Brillante stratégie politique pour se mettre en lumière, il sera resté sous les projecteurs jusqu’à sa nomination à Matignon. En se saisissant de sujets plus simples à gérer sur le court terme, nécessitant peu de budget et hautement sensibles, Gabriel Attal s’est offert la réputation d’un homme d’action dont les actes se joignent sans exception aux paroles. En fin de compte, en l’espace d’une poignée de mois, il aura fait baisser les atteintes à la laïcité, pris une position ferme face au harcèlement scolaire, et posé les premiers jalons d’une réforme du brevet.

Ce qui peut surprendre, c’est le fait que le Président de la République ait nommé un Premier ministre populaire pouvant être amené à lui faire de l’ombre. Pour la première fois, on semble apercevoir un aveu d’échec d’Emmanuel Macron, qui mise sur la fougue et l’audace d’un autre pour sauver sa propre peau. Et pourtant, malgré cette ouverture inespérée, la partie s’annonce perdue d’avance.

Un pays toujours plus loin de ses élites dirigeantes

Emmanuel Macron n’a jamais voulu jouer les règles du jeu. En tout cas, il voulait les changer. À 39 ans, il est devenu Président de la République sans idéologie et sans un programme clair, avec pour presqu’unique but de simplifier la vie des entreprises, persuadé que leur liberté d’action et le soutien indéfectible de l’État vis-à-vis de ces dernières révolutionnerait la société. Du pragmatisme sans saveur qui n’aura fait ses preuves que sur la baisse statistique récente du taux de chômage. Le jeune Amiénois s’est fait élire pour son culot et sa jeunesse. Il représentait une alternative aux vieux briscards du système. Il a séduit par son positivisme et son envie de réformer, au sortir d’un quinquennat socialiste négatif et sans réforme réellement utile. Après 7 ans au pouvoir, c’est ce sentiment qui le pousse à nommer son double, mais plus jeune. L’envie de ramener de nouveau cet esprit conquérant qui avait fait les beaux jours de LaREM. Seulement, si Gabriel Attal dispose de certaines des qualités d’Emmanuel Macron, il possède aussi nombre de ses défauts.

À 34 ans, l’âge de la nomination étonne, et à raison. À la télévision, on s’émerveille ces derniers jours d’observer des archives du Premier ministre enfant, datant d’à peine 20 ans. Difficile de mettre en doute ses capacités, mais la politique est aussi une affaire d’expérience et de connaissance du terrain. Tout comme M. Macron en 2017, M. Attal ne jouit d’aucune de ces caractéristiques. En une dizaine d’années de carrière, il n’a fréquenté que des ministères parisiens et des hauts fonctionnaires eux-mêmes issus d’un monde complètement déconnecté. Son parti est d’ailleurs l’image-même de la déconnection entre la classe sociale supérieure et les milieux populaires, notamment dans les zones rurales. S’il se targue d’être élu local dans la municipalité de Vanves, ville limitrophe de Paris, M. Attal y a rarement été aperçu défendant bec et ongles les intérêts de celle-ci. Outre son activité de ministre, ce fait s’explique vraisemblablement par le manque sensible de défis présentés en termes de pauvreté, d’emploi, d’insécurité, de racisme, comme c’est parfois le cas en région ou dans d’autres départements franciliens tels que la Seine-Saint-Denis. Vanves est une ville où il fait bon vivre. Le salaire net horaire moyen y est de 24 € pour l’ensemble de la population active contre 17 € à l’échelle nationale. En 2020, le taux de chômage n’y est que de 6,8 % contre 8 % dans le pays. 0,1 % de la population travaille dans l’agriculture, 8 % est ouvrière, mais 33 % exerce en tant que cadre ou dans une profession intellectuelle supérieure. Ce manque d’expérience complique pour lui le fait de saisir les difficultés que vivent les français, et la complexité de leur identité. C’est d’ailleurs ce même critère qui faisait cruellement défaut au Président de la République à partir de 2017. La crise des gilets jaunes, le mépris des soignants pendant le Covid-19, la réforme de l’assurance chômage, les phrases provocantes à répétition et bien d’autres éléments ont tâché son bilan à la tête du pays. D’aucuns pourraient même y voir un des facteurs ayant ouvert la voie au Rassemblement national, aujourd’hui plus puissant que jamais. Le recul permet de constater que la jeunesse et l’inexpérience de M. Macron ont souvent été un boulet dont les français auraient pu se passer. En tant que Premier ministre, Gabriel Attal devra être encore plus proche du peuple. Les doutes sont permis.

À cela s’ajoute un contexte de crise politique inédit duquel il devient chaque jour de moins en moins possible de s’extraire. À l’heure actuelle, M. Attal a cinq mois pour empêcher le Rassemblement national de faire un raz-de-marée aux élections européennes de 2024. En 2019, ce même parti a devancé Renaissance d’environ 1 % en recueillant 23,31 % des suffrages. Aujourd’hui, le parti d’extrême-droite prévoit d’en obtenir 31 %, accompagné de 6 % pour le parti Reconquête, dirigé par Marion-Maréchal Le Pen, et Debout la France, dirigé par Nicolas Dupont-Aignan. En l’espace de quelques années, alors qu’il était sensé former l’ultime barrage face à l’extrême-droite, M. Macron est forcé de jouer les pompiers pyromanes. À l’échelle nationale, le camp présidentiel a désormais prouvé à plusieurs reprises que l’avis du peuple et de ses élus ne l’intéressaient aucunement. La rupture semble consommée. Certains ministres ont démissionné de leur propre chef et bien des électeurs blessés ont définitivement tourné le dos à la promesse macroniste. Il sera désormais difficile pour le Président d’invoquer le barrage républicain. Il faut prouver l’efficacité du Gouvernement à améliorer réellement la vie des gens dans un pays embourbé dans la crise économique, ravagé par les conséquences du dérèglement climatique et sensiblement schizophrène au sujet de sa sécurité. Sinon, le choix de la majorité se portera sur le populisme de droite. Autrefois, la mission gouvernementale était d’empêcher sa montée en puissance. Gabriel Attal devra la faire redescendre.

C’est donc dans un pays fracturé et profondément marqué par les agressions du pouvoir exécutif que Gabriel Attal devra opérer. Jeune, talentueux et téméraire, son bilan, certes court, témoigne malgré tout en sa faveur. Il ose, et a été nommé en ce sens. Son inexpérience et l’état  politique presqu’irrécupérable du pays pourraient avoir raison de ses futurs efforts. Si l’on comprend toutefois correctement le coup de bluff d’Emmanuel Macron, M. Attal ne sera en aucun cas un énième fusible. Au vu de son profil et du contexte de son arrivée, il devrait avoir une marge de manœuvre conséquente. Il ne faudra pas s’attendre à une révolution socio-économique, mais le jeune homme politique de 34 ans saura peut-être remettre une dose de passion dans le débat politique et redonner du sens à l’existence de notre Assemblée nationale. Habitué des expériences courtes, son travail à la tête du Gouvernement sera jugé au sortir des élections européennes en juin prochain. Nous aurons donc (très) rapidement des réponses à nos interrogations.

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