L’affaire Taha Bouhafs : une histoire d’hypocrisies

Taha Bouhafs n’en finit pas de faire parler de lui. Accusé de violences sexuelles, le jeune Isérois investi comme candidat de la NUPES dans la 14e circonscription du Rhône n’a eu d’autre choix que d’abandonner ses ambitions d’intégrer l’Assemblée nationale. Par un communiqué publié sur les réseaux sociaux dans la nuit du lundi 9 au mardi 10 mai, il annonce son retrait, dénonçant une campagne raciste et insoutenable à son égard. Pour autant, ce retrait ne signe pas la fin de la déferlante. Son cas fait encore jaser et déstabilise toujours un peu plus l’avancée de la NUPES dans sa conquête des circonscriptions à travers le pays. Mais qui est Taha Bouhafs, et pourquoi cette affaire suscite-t-elle autant d’émoi tant dans la sphère politique que citoyenne ? Nous verrons que derrière les accusations de violences sexuelles, cet homme représente bien plus, mais que celles-ci furent l’occasion rêvée pour ses détracteurs de mettre le feu aux poudres.

Rappel des faits

Originaire d’Échirolles, Taha Bouhafs milite depuis qu’il a quitté le lycée au sein de La France Insoumise. Il s’est même présenté aux législatives en 2017 dans la deuxième circonscription de l’Isère, mais est éliminé dès le premier tour. La France le découvre lors de l’affaire Benalla, où il filme ce dernier frappant un couple et usurpant la fonction de policier. Bouhafs s’éloigne des insoumis en 2019, jugeant certains membres islamophobes, et fait son retour depuis l’ouverture de la campagne actuelle des élections législatives.

Si sa candidature fait débat, c’est le signalement de quatre plaignantes au Comité interne de suivi contre les violences sexistes et sexuelles de violences sexuelles qui aura raison de sa candidature. Caroline De Haas et la direction sont informés « aux alentours du 5 ou 6 mai », mais les détails restent inconnus. Il s’agirait de violences psychologiques, de messages intimidants, voire d'un viol. Le 7 mai, le Comité est officiellement saisi. Taha Bouhafs est convoqué par Mathilde Panot et Clémentine Autain le 9 mai, avant de se retirer de la campagne le soir même. Chez Mediapart, Mme Autain évoque un témoignage « d’une gravité que nous n’avons encore jamais rencontrée ». Bouhafs, lui, accuse le coup et parle de nouvelles « calomnies » destinées qu’à son seul retrait. Il accepte cependant la procédure et affirme comprendre la logique de son départ.

Un choix incohérent

En réalité, le fait même d’avoir envisagé de conduire Taha Bouhafs à l’Assemblée nationale sous la bannière de la NUPES semble maladroit. Car avant même que s’ajoutent ces accusations, l’isérois avait déjà été condamné en septembre 2021, en première instance, pour injure publique à raison de l’origine par le tribunal correctionnel de Paris. Le journaliste du Média avait qualifié Linda Kebbab, porte-parole du syndicat de police Unité-SGP-FO, « d’arabe de service » et fut condamné à payer une amende de 1 500 € et 2 000 € de dommages et intérêts. S’il a depuis fait appel, il semble clair que LFI avait l’intention de présenter un candidat « anti-raciste » et pourtant raciste en même temps. Au sein de la NUPES, cette condamnation interroge. Fabien Roussel, dirigeant PCF, avouera sur France 2 ne pas comprendre « qu’on puisse présenter quelqu’un qui a été condamné pour injure raciale ».

Taha Bouhafs a aussi fait l’objet d’accusations de harcèlement psychologique, mais cette fois-ci sur son lieu de travail, au Média. Dans une enquête du média d’investigation Arrêt sur images, on apprend qu’il aurait exercé des pressions sur certaines employées de la structure, notamment une pigiste, Elsa Margueritat. Selon des témoins, il aurait tout mis en œuvre pour qu’elle soit licenciée, n’appréciant pas ses tweets et partages sur les réseaux. Le rédacteur en chef ayant refusé de la renvoyer au seul motif de la divergence d’opinion, il aurait menacé d’user de sa notoriété sur les réseaux pour la faire craquer, précisant : « Tu ne verras pas de difficultés à ce que j’use de ma liberté de conscience pour dire ce que j’en pense sur les réseaux sociaux ». Elsa Margueritat quittera Le Média quelques mois plus tard.

Mais ses frasques ne s’arrêtent pas là. Sur twitter, où il est suivi par 140 000 abonnés, il déclare, que « Les pouilleux de Charlie Hebdo n’existent qu’à travers notre indignation. Cessons de commenter leurs unes dégueulasses et ils cesseront d’être ». Il traite également une prostituée de « pute blanche » ayant comparé la violence de son statut social à celui de Rosa Parks. La réponse du jeune homme de 25 ans est d’une brutalité indigne d’un potentiel élu de la République, et ne peut aucunement se justifier. Il est pourtant défendu corps et âme par son parti. Adrien Quatennens évoque sur LCI « un militant des quartiers populaires dont peut-être la forme et l’expression ne plaît pas à certaines belles personnes ». Sur Sud Radio, Mathilde Panot parle d’une « campagne d’extrême droite » contre lui. D’autres le soutiennent, comme Sandrine Rousseau, Julien Bayou, et Jean-Luc Mélenchon, qui avait lui-même soutenu l’idée de rendre inéligibles les personnes condamnées pour haine raciale en décembre 2021 sur BFM TV. Bref, tout est ramené au racisme et les critiques restent sans réponse. Il est évident que l’extrême droite a massivement attaqué Taha Bouhafs en raison de ses origines, mais les reproches du reste de la classe politique semblent quant à eux fondés.

Et c’est cette ambiguïté qui fâche. Un parti de gauche attaché à la lutte contre le racisme, les violences faites aux femmes et discriminations en tous genres investit un homme naviguant à contresens de ces principes, tout en offrant aucune réponse concrète aux interrogations. Résumer les attaques à sa simple origine prend une tournure presque stigmatisante du jeune candidat, qui ne peut être considéré que par le prisme de son ethnie.

Un naufrage dans la communication

Logiquement, l’affaire éclate dans la foulée, suite aux déclarations de Clémentine Autain. Il n’est plus question de défendre Taha Bouhafs, et pourtant, on plaide tout de même sa cause. Clémentine Autain critique des « attaques venues de l'extrême droite, relayées ad nauseam dans les médias, par la macronie et jusque dans certains rangs à gauche, contre un jeune homme sans diplôme, issu des QP et de l’immigration ». Jean-Luc Mélenchon, prenant connaissance des faits, dénonce « la campagne de racisme » contre son protégé. Et c’est là que le bât blesse, car la défense de Taha Bouhafs sur le terrain du racisme se fait au détriment des victimes.

Passée la saisine interne, on apprend qu’aucune des femmes ne portera plainte pour préserver l’ex-candidat d’attaques racistes. Clémentine Autain ajoute qu’il s’agit de « protéger les plaignantes et le mouvement ». Le non-respect de ce schéma crucial de protection des victimes pose question. La libération de la parole de ces femmes doit respecter le cadre de la campagne législative et la gravité du racisme. Pourtant, cette parole est priorité absolue lorsque agression il y a. L’agresseur, Taha Bouhafs, n’entre, en aucun cas, en ligne de compte, et la Justice doit être saisie.

S’il est faux et injuste de traiter les membres insoumis d’escrocs pseudo-féministes, la maladresse dans la gestion des priorités et des turbulences met à mal leur crédibilité à gouverner. Défendre envers et contre tout Taha Bouhafs malgré les accusations graves le visant montre aussi les limites des combats anti-racistes, via l’absence parfois gênante de lucidité et de rationalité du parti. Tout cela permettant aussi à ses opposants d’en profiter.

Du pain bénit pour les opposants

Suite aux révélations, les réactions n’ont pas traîné, et nombre d’internautes et politiques se sont mus en grands défenseurs de la stricte séparation des pouvoirs, du rôle de la Justice et de l’intégrité physique des femmes. Sur les réseaux, on essaie de coller à Sandrine Rousseau l’étiquette d’une féministe qui n’en serait pas une. D’une donneuse de leçons qui ferait mieux de parler moins fort. Attaques gratuites d’une malhonnêteté crasse ne visant qu’à l’affaiblir. Louise El Yafi dans Le Figaro explique que « […] lorsque l'on se dit de gauche, que le féminisme est né dans son propre camp, que c'est ce même camp qui l'a majoritairement défendu corps et âme tout au long du XXe siècle et que l'on passe son temps à crier à la moralisation du quotidien des Français sous prétexte d'égalité hommes-femmes, l'indulgence est forcément moins de mise. ». En bref, la gauche radicale aurait un devoir de féminisme supérieur, ce qui justifierait ainsi les attaques. Attaques qui seraient moindres si le parti accusé était de droite. Cette remise en question du féminisme de Rousseau, voire d’Autain, semble d’autant plus osée et blessante, qu’elles ont toutes deux été victimes de violences sexuelles.

D’aucuns pourraient simplement dire que c’est le jeu de la politique. Une fenêtre s’est ouverte, et les opposants en profitent. En effet, il serait difficile de croire au cri du coeur. LaREM, Reconquête ou encore LR sont loins d’être exempts de tout reproche. Rappelons qu’Éric Zemmour fut candidat aux élections présidentielles en étant accusé par huit femmes de comportements inappropriés et d’agressions sexuelles. Il n’a pourtant jamais subi la même vindicte que Taha Bouhafs. Gerald Darmanin a été nommé Ministre de l’Intérieur alors même qu’il était accusé de viol. Alors en fonction, Nicolas Hulot, Ministre de la Transition écologique et solidaire, a été accusé de viols et d’agressions sexuelles, puis protégé par son parti malgré les témoignages glaçants de ses victimes. Stanislas Guérini a récemment défendu Jérôme Peyrat, candidat LaREM en Dordogne alors même qu’il a été condamné par la Justice. Guérini jugeait que la situation était « complexe » et que J. Peyrat se « se soumettra au jugement des électeurs ». Une drôle de conception du rôle de la Justice.

Malgré la gravité des actes et dérives de Taha Bouhafs, il est indéniable que le degré des attaques subies à gauche est nettement supérieur qu’au sein des autres courants politiques. Quand Yannick Jadot fait maladroitement de l’antisémitisme en taxant Éric Zemmour de « Juif de service », ses propos résonnent moins que les insultes de Bouhafs à Linda Kebbab. Car celui-ci représente aussi une opportunité stratégique pour les partis politiques de porter un coup à la campagne de la NUPES.

Une haine irrationnelle contre les insoumis ?

En fin de compte, Taha Bouhafs s’est peu exprimé. Non pour se défendre des violences sexuelles, mais pour répondre aux attaques racistes, et critiques adressées au personnage et à son attitude. À qui la faute ? Sonia Mabrouk, journaliste à CNews, assure l’avoir officiellement invité sur son plateau, et ce bien avant l’affaire. Il est vraisemblable que Bouhafs n’ait pas été invité sur tous les plateaux. Il reste un jeune méprisé par l’extrême droite en raison de ses origines et par d’autres pour sa proximité vis-à-vis de certains groupuscules islamistes radicaux, aujourd’hui dissous, comme BarakaCity ou le CCIF. Est-ce la raison de son absence sur les plateaux ? Ou refuse-t-il systématiquement de s’exprimer dans un média d’une orientation politique différente de la sienne ? Ses conflits au Média ont montré sa vision du pluralisme, et on le voit le plus souvent s’exprimer dans des médias proches de sa couleur politique. En réalité, il n’y a aucune réponse, mais il est regrettable qu’il n’ait pas pu davantage s’expliquer face aux Français.

Au fond, cette affaire éclaire un débat médiocre entre un parti aux allures misérabilistes s’affichant comme seul défenseur des opprimés, contre tous - « tous » étant racistes. Taha Bouhafs a été défendu sans réels arguments, face à des accusations sérieuses, avant les violences sexuelles. Cette défense irrationnelle a permis d’éviter un débat sur ses compétences et sa légitimité d’intégrer l’Assemblée, et généré des frictions au sein d’une NUPES naissante. Pourtant ces élections législatives sont inédites et vitales face aux enjeux défendus par la coalition. L’extrême-droite, elle, exerce encore et toujours sa seule capacité : attaquer la gauche sur fond de racisme et xénophobie. Les offensives sont prévisibles, violentes et peu réfléchies. Au centre et à droite, les attaques ont été politiques, accusant LFI et Taha Bouhafs de tous les maux, plutôt que de faire leur auto-critique. Car l’enjeu est énorme. La NUPES pourrait réunir une majorité de voix et empêcher le Président Macron de mettre en œuvre son programme.

Au-delà de ces ambitions, une fracture idéologique d’ampleur règne entre LFI et les autres partis, surtout au centre et à droite, occasionnant une haine parfois disproportionnée. Cette dernière se nourrit de l’ambiguïté insoumise, notamment dans l’affaire Taha Bouhafs, dont l’investiture comme candidat aux législatives ne pouvait être considérée autrement que comme une provocation. Elle met en lumière certains paradoxes dans la ligne du parti aussi critiqués à gauche, et participe au développement de l’image d’un parti « d’extrême-gauche » chez de nombreux électeurs.

Précédent
Précédent

Mondial 2022 : du pain et des jeux